Soyez les bienvenus. Ensemble, nous allons partager des tranches de vie dont les rebondissements multiples vous permettront de voyager. Parfois, ils vous agaceront mais surtout, vous tiendront en haleine jusqu'au bout. Soyez patients, toute fin arrive mais ici, par petites touches pour ne pas vous ennuyer.

ATTENTION !

Il vous faudra parfois cliquer sur le texte ou sur un image pour trouver des informations
L'Affaire Lemming / Derniers développements
" Les œuvres d'art n'ont qu'une seule fonction, celle de nous montrer que nous n'avions rien vu " L'auteur (plagiant Paul Valéry)

Affaire Lemming, derniers développements…

A René Magritte…

Neuf heures du matin, Paris…

Au fond d'une cour, un appartement cossu, douillettement réhabilité.

Au fond du boudoir silencieux de ce cinq pièces cuisine trône ce petit placard de

guingois,  calé sous son antique téléphone ; une  vieillerie à froufrou tellement

démodée qu'on imaginerait volontiers des chineurs s'être battus hier encore pour

en faire l'acquisition.                    

Depuis quelques minutes, c'est dans ce cadre miteux qu'un homme prostré subit une

conversation ; un interrogatoire à sens unique :

-     " …Oui, oui…

   - Quarante deux mille euros…Quarante deux mille sept cent quatorze euros,

quelques centimes et je vous fais grâce des frais de procédures dont un sacré

paquet d'agios.

  - Oui, bien sur…

- Mettez vous à notre place, Mr Lemming ! La B.C.C n'est pas là pour

enfoncer la tête de ses clients sous l'eau - même celle des plus calamiteux - 
mais tout de même, Mr Lemming, tout de même ; vous rendez-vous

compte ! ! …
- Oui, oui, bien sur, bien sur…

- Chaque homme doit savoir déterminer sa propre ligne de flottaison,

Mr Lemming, sans quoi où irait le monde !

- …

- Vous ne dites rien ?... Et votre famille, Lemming ; vos enfants, votre brave

père, cet homme digne, demeuré très alerte pour son âge, y avez-vous

songé ?

- Bien sur…

- Jusqu'à cette triste mésaventure, dont j'ai heureusement pris soin de

l'informer moi-même puisque vous aviez lâchement omis de le faire, ce

brave homme s'entêtait à vous accorder sa confiance ! Avant d'agir, il aurait

fallu nous consulter, Mr Lemming ? Son  héritage n'était pas à votre

disposition… pas encore ? !… "

La voix reprend sa respiration. Soulagée de bien peu de chose, elle semble en

avoir presque fini :

- " Dites moi, Lemming, faites vous toujours aussi peu cas de vos proches ? !…

- Oui, bien sur, bien sur…

- Vous m'écoutez, au moins, quand je vous parle ! ?… On ne dilapide pas ainsi

le bien des gens sans les avoir consultés, Mr Lemming, même celui des
1
2
siens !… Et leur avenir Mr Lemming, Mr Lemming… Mr Lemming…

Mr Lemming ! ?…  "

L'écho de son nom l'abrutit. Ce n'est pourtant qu'une rémanence, une virtualité

hantant sa conscience. Aussi Mr Lemming ne se rend-il compte de rien tout en

saisissant parfaitement la portée unique et singulière de chaque chose… 

Vous l'aurez compris, Mr Lemming dort debout. Léger comme la plume d'un

oiseau mort touchant à peine le sol, Mr Lemming s'éloigne du téléphone sans

raccrocher, Mr Lemming voit son rêve s'effondrer sous lui, tout autour,

partout… Un mètre quatre-vingt quatorze d'os et de chemise blanche à trois plis

dans le dos ; l'ensemble de ce montage humain, tendu au fil à plomb, tel est Mr

Lemming, Charles Lemming, les yeux humides, le regard à la fois perdu,

revanchard, malicieux.

Là dessus - sur ces trois sentiments entremêlés et leurs effets pervers combinés

de manière complexe - Mr Lemming se met debout d'un trait. Il se convainc

aisément que personne ne devra endurer la déchéance promise,

qu'aucun membre de sa famille ne le mérite.

Alors Mr Lemming revêt ses mitaines, se saisit dans un placard d'un objet de

ferraille passé de mode ; un objet dont il n'aura néanmoins jamais pu, jamais su

se séparer, ce malgré son obsolescence.

Prenant une cible afin d'effectuer un premier test, Mr Lemming charge cette

vieille boîte métallique, il l'arme, il l'enclenche, il la charge, il l'arme, il la

déclenche. Le coup part en un éclair, à bout portant, et cependant il ne fait pas
3
mouche ; alors Mr Lemming prend ses distances, réarme et ré-enclenche. Cette

fois il touche, il est prêt.

Parce qu'il avait mal anticipé la situation dont il commence à subir les affres,  un

instant,  il se sent mal et s'assoit au beau milieu de la salle à manger, lieu de tous

les doutes.  Le dossier de son siège le sent à peine. Le regard voûté, il se

dévisage le nombril comme un miroir sans fin.

Ce vertige est éphémère, comme tout le reste. La volonté d'agir le submerge. Il

se remet debout comme un templier en croisade. De fait, pour la première des

cibles qu'il s'est fixé, il hésite, ne règle définitivement sa pétoire qu'au moment

fatidique où il franchit la porte.

Objectif en vue, il cherche la lumière, l'angle de pénétration idéal. Finalement,

en dépit de l'obscurité tenace et puisque la perfection n'est pas de ce monde, il

épaule, il vise, il ajuste, et hop, le tour est joué ; sa femme ne s'est même pas

réveillée ; elle ne se sera rendu compte de rien. La voilà prête pour sa nouvelle

vie ; son nouveau monde.

D'une chambre à sa suivante, maintenant qu'il a commencé, tout s'accélère.

Pour les autres, ce sera pareil ; une pure formalité lorsqu'on est un professionnel

aguerri de la détente.

Lemming ne rechargera qu'au bout d'une demi-heure, dés que la sueur lui aura

coulé jusqu'au bord des lèvres comme une sonnette d'alarme parce que le

dernier sur la liste ce sera Edouard ; Edouard, le petit dernier, le petit gâté, celui

qui n'aurait dû porter son nom, la figure d'enfant jésus dont la naissance
4
entachée d'un doute en paternité aurait pu faire de lui le martyr idéal, l'enfant du

placard, le souffre-douleur rêvé d'un couple en fin de déliquescence.

Seulement voilà, les choses de l'amour sont ainsi. Pareilles aux choses de la

haine, elles vous hantent. Aussi, avec Edouard, Lemming procédera-t-il

autrement ; Lemming prendra des gants car il ne veut pas le faire souffrir ; pas

lui. Afin d'en finir plus vite encore qu'avec tous les autres, il l'immobilisera, il

l'immortalisera d'abord à la main puis au secours de quelques outils pointus plus

anciens…
                                                             … 

L'appartement est vide, deux jours ont passé… Mr Lemming allume la lumière

de sa salle de bains, ouvre la porte attenante, trempe ses mains rougies dans le

fluide rendu sanguinolent par la particularité des néons.

Sous cet éclairage, comme Mr Lemming paraît grand, comme Mr lemming

paraît définitif !

Depuis deux jours, il ne les a pas touché. Il les observe avec ses deux yeux de

Chimène. Comme ils sont beaux ainsi figés pour toujours. Comme l'éternité les

rend magnifiques ! Pour un peu ils les embrasserait, un par un, puis les

replongerait dans le liquide. Mais ce contact froid lui procure un indicible

dégoût. Alors Mr Lemming écarte un bac rempli de révélateur, ressort, ferme

dans son dos la porte de la chambre interdite, en écarte les vapeurs acides par un

dérisoire coup de pied. Mr Lemming remonte son grand couloir, refait sa raie au
5
beurre noir en marchant, ouvre le dernier placard encore présent, passe son

grand manteau noir, fait tomber sa canne Moghol à pommeau d'argent pour

mieux s'en emparer au vol et se la poser sous sa jambe claudicante

poliomyélitique. Ensuite, afin de finir de la si belle ouvrage en harmonie avec le

reste, Mr Lemming se signe car il veut garder son âme libre, malgré l'éclair, et

pouvoir se diriger vers le balcon sans craindre la malédiction qu'il sent peser sur

lui.

Sur place, question de superstition et d'un peu de sang Cherokee dans les veines,

Mr Lemming fait résonner la dalle de sa danse de la pluie claquante. Ce faisant,

puisqu'il en est arrivé à de telles extrémités, il retourne dans son local photo, une

dernière fois, caresse l'attrapeur de rêves Sioux qui s'y trouve pendu, puis

retourne au balcon pour de bon. Enfin, il se penche au dessus de la rambarde

juste ce qu'il faut, cherche à déterminer l'inclinaison exacte afin que la pose lui

convienne…

Sera-t-il à la hauteur ? De toutes façons, c'est trop tard, il le faut ; tout est fini, à

présent !

Il appuie sur la gâchette…

                                   Mercredi 16, six jours plus tard…

Toujours le même appartement, toujours le même silence feutré. Ca sent la

mort… et la désaffection…

6
Fin du premier volet.
Si vous avez des questions, des suggestions, contactez moi par mail